
La Prise de Parole en Public, par certains aspects, peut-être assimilée à un art martial.
Le Judo principalement.
Et je sais de quoi je parle.
Le mot Judo en japonais signifie : la Voie de la Souplesse.
J’ai eu la chance pratiquer cet art martial pendant 9 ans, de 8 ans à 17 ans.
J’ai même pu décrocher ma ceinture noire à 16 ans.
Et pour vous prouver que je ne raconte pas de mensonges et que vous n’êtes pas en train d’assister à une mauvaise tentative factice de stotytelling, en voici la preuve sur la photo qui suit.

Je vous laisse vous remettre de vos émotions après que vous ayez constaté qu’en effet j’avais bien plus de cheveux à l’époque.
Pour en revenir à mon propos : en Judo, le passage en force, cela ne passe pas.
Vouloir passer absolument une prise alors que le contexte du moment ne le permet est toujours suicidaire car elle risque de se retourner contre vous.
Pour être clair, on ne tente pas une prise de Judo dans l’absolu. On la tente en fonction de son adversaire, de sa posture dans l’instant et de l’atmosphère du moment.
C’est une question d’instinct. Cela ne se pense pas.
Le Judo est un sport de contact et de connexion physique intense. Au travers du kimono, les deux adversaires se retrouvent au milieu d’un tornade de répulsions, d’attractions, d’abaissement ou d’élévation du centre de gravité. Ils sont en connexion physique permanente.
Le moment où vous allez tenter une prise est tout d’abord un moment où vous allez vous ancrer dans le sol afin d’armer votre intention.
Puis, vous allez créer un décalage pour ne plus être dans son axe : déplacement, abaissement ou élévation du centre de gravité. En décalant votre adversaire, vous créerez un vide, une forme d’appel d’air. A ce moment-là, ce dernier ne sera plus que sur un pied, ou bien il sera un peu trop penché en avant, ou bien il aura relâché la pression sur votre kimono.
C’est à ce moment-là que la prise partira, l’action : à ce moment-là, l’adversaire sera prêt à être cueilli dans son déséquilibre, et il n’y aura même pas à forcer pour le faire tomber.
Ancrage – Décalage – Appel d’air – Action.
Pourquoi est-ce que je vous parle de cette séquence-là, dans un blog qui parle de prise de parole en public, d’éloquence et d’art oratoire ?
Parce que c’est exactement cette séquence, que j’avais intériorisée enfant, que j’ai inconsciemment utilisée lors du TedX Canebière 2018.
Et en voici la démonstration. Il est bon que vous regardiez la vidéo en entier d’abord pour suivre le décryptage présenté après la vidéo.
Tout se joue à 5’45 » : le point de bascule. Le moment où j’ai pu créer la brèche pour provoquer le rire.
Jusqu’à ce moment-là, l’ambiance n’y était pas. J’avais fait quelques essais, mais je n’avais pas le bon rythme. Et je sentais que le public attendait autre chose. Le propos était sérieux et malgré quelques tentatives, le rire ne venait pas. Inutile de passer en force.
Lorsque tout à coup, à 5’45, je me sens pris d’une envolée intérieure à propos du Bleu de Méthylène qui avait été présenté comme un médicament ancestral et universel. Et sans que je m’en rende compte, j’ai envoyé la séquence Ancrage – Décalage – Appel d’air – Action.
Ancrage : A 5’45, je m’ancre dans le sol et marque le moment de tout mon corps, main droite en avant. On dirait que j’enfonce un clou lorsque je dis : « Est-ce que Michel vous dit qu’il faut faire du neuf avec du vieux ? Non ! »
Décalage : J’inspire rapidement comme si je tirais sur kimono pour me faire de la place et je dis « Ce qu’il vous dit, c’est qu’il faut créer du présent avec de l’éternel ! » Je lève le doigt, j’inspire largement, je sens le silence s’installer et je perçois que le public est pendu à mes lèvres : c’est l’appel d’air.
J’ai alors un écrin parfait pour le passage à l’action. Ca part d’un coup. Je m’embrasse le dos de la main en guise d’auto-congratulation et de manière très légère je dis : « Celle-là, j’en suis fier. »
Et le moment explose. C’est un moment purement reptilien : il n’y a plus de filtre. Le mental est anéanti, je suis moi, je ne peux plus rien retenir.
Ancrage – Décalage – Appel d’air – Action
Pour ce qui est de la prise de parole en public, je n’ai pas de recette miracle à proposer pour que tout un chacun puisse activer cette séquence-là.
Ce que je sais, c’est que c’est à force de répétition de mes spectacles, à force de monter sur scène pour les jouer, à force de décomposition de mes mouvements et déplacements, que j’ai pu faire entrer la séquence non pas dans ma tête, mais dans mon corps. C’est cela qui m’a permis de casser mon ronron mental perpétuel au profit d’une expression bien plus complète qui intègre l’esprit, l’émotionnel et le physique.
C’est la magie du théâtre et de l’expression corporelle : comme pour les arts martiaux ou d’autres sports d’ailleurs, à force de répétitions, d’exercices, l’instinct prend le relai sur le mental. Nous portons alors notre discours de manière intégrale de tout notre être. Notre corps nous soutient et nous rassure. Le discours est profondément ancré en nous. Cela nous donne confiance. Le conscient est mis de côté en partie provoquant ainsi l’apparition de l’authenticité et de la vérité de l’orateur.
Nous prenons confiance et nous laissons apparaître qui nous sommes vraiment. Et même si l’on ne sait jamais ce qui apparaîtra, nous n’en avons plus peur.
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