La Prise de Parole en Public : Et si on arrêtait de dire que « Ca va » ?

« Ca va ? » dit le conférencier ou l’humoriste à son public en montant sur scène, et en n’écoutant pas la réponse. Inutile d’écouter, puisque tout le monde répondra « Ouuuiiiiiii ».

Qui va vraiment répondre « Bof, non, c’est pas la forme. »

De toute façon la question posée est bien sûr une simple formule réthorique.

Mais au quotidien, ce n’est pas si différent : nous répondons machinalement à la même question « Ca va. »

On a pas trop envie de s’embêter à vraiment expliquer comme l’on se sent. Nous avons tellement de choses à faire, nous sommes si importants, si overbookés et surtout, on ne sait pas toujours vraiment comment l’on se sent dans les faits.

Et puis, nous avons été éduqués avec l’idée qu’il faut être fort, digne, solide, ne pas se laisser dominer par ses émotions, qu’il faut avancer coûte que coûte et que ce qui compte c’est LA VOLONTE !

Bla, bla, bla.

Certains voudraient faire croire que cela ne concerne que les hommes avec le fameux « Tu seras fort mon fils ». Mes années passées à pratiquer le coaching m’ont appris que femmes et hommes sont égaux face à l’appel de la performance.

Si certains hommes s’imposent d’être forts comme leur père, certains le font pour rassurer leur mère et certaines femmes en font de même en voulant être solides et droites à l’image de leur mère ou pour rassurer leur père.

Un partout, balle au centre.

Nous sommes à égalité dans une société de la performance où le virtuel et le fantasme prennent le pas sur les racines et le ressenti profond : personne ne veut se montrer faible. Ou plutôt : peu de gens veulent se montrer faible.

En l’écrivant, je me demande même ce que « Etre faible » peut bien vouloir dire lorsqu’il est question de ressentir ce qui fait de nous des humains.

La pratique de la scène et du théâtre m’ont appris justement à me présenter devant les gens avec mon état du moment. Les émotions, aussi négatives soient-elles, je ne les chasse pas parce que je dois monter sur scène pour faire rire les gens. Au contraire, je les accepte, je danse avec elles, je les laisse circuler profondément. Je ne lutte pas contre elles, je surfe avec elles. Il en est de même avec mon état physique : si je suis fatigué je joue avec ma fatigue, dans ma fatigue. Et surtout pas « contre » ma fatigue.

Sur certains ateliers ou conférences, je le précise même en début de prestation : « Je vous préviens, je suis fatigué. »

Cela m’enlève une pression et cela me permet de ne pas passer en force et de créer une connexion avec le public.

Généralement, mes prestations en sont bien meilleures.

Ceci étant dit, où cela nous mène-t’il ?

Nous entrons dans la deuxième année de cette crise sanitaire du Covid et je trouve que nous serions légitimes à dire « Non, ça ne va pas. Je veux vivre, je veux un café en terrasse, j’en ai marre ! ».

Pourtant ce n’est pas ce que l’on entend. « Ca va ? » dit l’un qui se passe les mains au gel hydro-acloolique. « Ca va » répond l’autre à mi-voix, en penchant la tête de côté, et en réajustant son masque.

Bien sûr que non, ça ne va pas.

Quelque chose ne tourne pas rond. Nous faisons avec. Nous prenons sur nous.

Alors bien sûr, il faut être collectif et garder l’espoir. Et d’ailleurs, il y a des moments où en effet ça va.

Mais sinon : on parle de ces vagues de tristesse qui nous envahissent quand on réalise que l’on ne sait pas quand cela se terminera ? Est-ce que l’on parle de ces petites crises d’angoisse qui donnent l’impression d’étouffer même quand on se ballade en plein air ? Est-ce que l’on parle de ce réflexe de se remettre à bosser sur son ordinateur car c’est une des seules sources d’interactions qui reste encore à certains ? On parle de cette envie de faire venir des amis à la maison et la seconde d’après, on se replie sur soi en se disant « Bof… »

Nous gagnerions à dire clairement « Non, ça ne va pas ».

Cela nous soulagerait.

Cela ne nous ferait pas nous effondrer.

Cela ne ferait pas de nous des gens faibles.

Cela ne ferait pas de nous des gens auto-centrés ou égoïstes.

Cela ferait de nous des humains qui doivent, pour une durée indéterminée, se déconnecter d’une part d’eux-mêmes et ce, pour espérer des jours meilleurs.

Cela nous permettrait de nous connecter à nous-mêmes, en profondeur.

Nous pourrions alors un peu plus nous connecter les uns aux autres, et après en avoir parlé, se sentir soulagés de ce fardeau partagé.

Sur certains échanges, nous pourrions même en rire ensemble.

Ce conseil là, de surfer avec nos ressentis plutôt que de vouloir les gérer, je le donne généralement à mes élèves de théâtre, aux personnes en entreprise ou aux gens que je suis pour de la prise de parole.

Mais là, je suis convaincu que cela pourrait avoir du sens à un niveau bien plus large.

L’Atelier, le 25/02/2021

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